Carnets

Tout est fiction ici.

posté le 02-11-2013 à 08:47:48

Aucun sens de la mesure

Aucun sens de la mesure. c'est sans doute ce qu'on m'a souvent reproché. Excès, excessive... De qui je parle? d'un moi d'une autre époque? d'un moi qui a rarement fait surface? ou de personnes qui m'ont fascinées avant de me lasser?

Mon corps me lâche; mon corps se rebelle contre lui-même et s'autodétruit. Mon corps a perdu la raison et ne se reconnaît plus. Je l'aide bien avec mes excès. Les médecins sont perplexes. Ils ne me posent pas les bonnes questions. Ils s'intéressent au présent, à ce qu'ils constatent de visu, à ce qu'ils palpent, à ce qu'ils voient en scrutant les radiographies. Je dis:

- J'ai du mal à me concentrer.

Et ils classent aussitôt ma remarque dans les symptômes d'un mal qu'ils veulent définir  alors qu'il aurait fallu creuser:

- Que voulez-vous dire?  A quel moment? Dans quelles circonstances?

Je sors du cabinet médical, insatisfaite, le ciel se couvre et je n'aime pas ces heures d'hiver qui me donnent l'impression que le soir est déjà là quand on en est seulement à la fin de l'après-midi. Les rues ne sont encore éclairées que par les lumières intermittentes des devantures, la municipalité fait des économies sur l'éclairage public.

Je porte ma maladie dont je suis peut-être la cause. Ou peut-être pas. Est-ce que je me trompe, que la maladie serait là de toutes façons, elle ou une autre, que mes excès, somme toute modestes, n'ont rien à voir et m'aident au contraire à vivre.

Je sors du magasin, j'ai retrouvé peu à peu mon calme. La nuit est tombée, les rues sont éclairées. Les passants semblent tous habillés de noir et je me sens différente avec ma veste beige.  Quel est le poids de la culpabilité?

 


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posté le 29-10-2013 à 20:54:45

Les promesses que je m'étais faites

Les promesses que je m'étais faites, il y en avait beaucoup, presque autant que les trahisons que je m'étaient infligées, les abandons, les fuites.

Aubain insiste avec délicatesse, c'est  là une de ses grandes qualités, au cours de nos conversations au café ou au téléphone:

- Ça va toi?... alors tu avances?

Il  ne dit jamais: 

- Tu écris?

sachant quels blocages une telle question peut générer.

Je réponds par la négative, mais l'idée fait son chemin et je me demande comment le satisfaire. Me revient en mémoire, alors qu'éveillée de bonne heure j'attends que le jour se lève,  une de ces vieilles femmes de mon existence. Oh, je sais que ce n'est pas la plus importante, j'aurais tendance à dire que c'est la plus anecdotique; je sens que je prends des chemins de traverse, que j'évite d'aller au but. Pourquoi ce souvenir? pourquoi cette personne?  Et d'ailleurs était-elle vieille?

C'était un professeur de musique, une vieille fille quand j'y pense puisqu'on l'appelait  mademoiselle... j'ai oublié son nom. Pourtant je suis sûre qu'il niche là , quelque part dans ma mémoire, pas loin.  Elle avait eu un malaise et était restée absente quelques jours. Comment se fit-il que je lui aie rendu visite? Je dirais même par quel miracle? Avais-je pris l'initiative? Ce n'était pas dans les habitudes de la famille... 

Pour un peu je reverrais l'entrée de la maison, une villa, avec un morceau de jardin devant, dans une rue de banlieue résidentielle. J'ai même l'impression que c'était l'automne imaginant les arbres qui bordaient le trottoir. Elle m'avait fait entrer chez elle, sans doute touchée par ma visite. Je me souviens d'un intérieur sombre, avec de beaux meubles - mais qu'est-ce que je savais des meubles, beaux ou non? je devais avoir l'âge du collège. Sans doute les meubles étaient-ils différents de chez nous où le skai (on dit maintenant du simili cuir ai-je constaté sur le moteur de recherche en vérifiant l'orthographe de ce mot, c'est plus chic), le formica, les couleurs vives, représentaient l'idéal d'un intérieur petit-bourgeois. Il y avait un piano noir. Cette demoiselle paraissait plus gaie, plus jeune que d'ordinaire. Je me souviens trè bien de ce détail, comme si je voyais le tableau et que tendant la main j'allais traverser le voile du temps. Elle sortit d'une boite en fer des gâteaux maison, à l'écorce de citron confit, qui me parurent  excellents. Je rêvais peut-être à ce moment là de revenir, d'apprendre la musique, le piano ou le chant, j'avais, disait-on une jolie voix.

Que se passa-t-il ensuite?Je n'en n'ai plus de souvenir mais je peux très bien imaginer l'accueil, j'arrivais en retard, et que l'on m'a interdit toute nouvelle visite: il n'aurait plus manqué que... Aujourd'hui je ne sais pas dire quoi on aurait manqué. J'allais écrire: il n'aurait plus que moi je respire un autre air, me sentant brusquement émue et même oppressée devant ces images .

Je n'ai jamais appris la musique, j'avais une jolie voix, mais ajoutait-on aussitôt, aucun sens de la mesure.

 


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posté le 28-10-2013 à 18:24:38

Les vieilles femmes ont disparu.

Les vieilles femmes ont disparu. Sur le parking venté il ne reste que les feuilles qui virevoltent et dans une Range Rover blanche et imposante, une femme qui gesticule avec véhémence tout en parlant au téléphone, tantôt  le corps rejeté en arrière, tantôt penchée sur le volant. Elle esquisse un  large sourire, et compose un autre numéro, bien protégée dans son véhicule, coupée des bruits de la rue et du vent qui souffle en tempête, des feuilles de platanes qui tourbillonnent.
Je sais bien que toutes les vieilles femmes n'ont pas disparu et qu'il en reste dans ma vie. même si Ludivine m'avait dit un jour:
- Tu as fais une croix dessus.
Et moi j'avais compris: tu l'as tuée, assassinée. Cette image violente s'était imposé à mon esprit tandis que Ludivine poursuivait:
- Moi je discute, je suis sûre de pouvoir l'influencer, la faire changer d'avis.
Je n'avais pas poursuivi la conversation, je disais:
-Tout ceci ne m'intéresse plus.
Et pourtant  j'étais toujours encore colère.
Aubain m'avait conseillé d'écrire un roman pour enfin régler mes comptes. Bien d'autres l'avaient fait à ma place.  Mais je tergiversais, arguant du fait qu'un romancier écrit avec son passé, qu'il a gardé les lettres qu'il relis, qu'il regarde, scrute les photos anciennes et s'en inspire, tandis que moi j'avais fait table rase. Et puis revenir sur ce qui me déchirait encore, c'était aussi revenir sur moi-même et ce que j'avais été,  dont je n'étais pas fière;  tout ce que je n'avais pas accompli malgré les promesses que je m'étaient faites.
 


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posté le 27-10-2013 à 14:11:30

Les vieilles femmes me font peur.

Les vieilles femmes me font peur. Je les regarde dans le rétroviseur tandis que je patiente sur le parking. Tiens, me dis-je, la mode est au bordeaux en contemplant les tailleurs qui se ressemblent. Elles sortent en bande, elles sont gaies, elles semblent indifférentes au vent violent qui secouent leur mise en plis et fait tourbillonner les feuilles racornies des platanes sur la chaussée. Elles sont six ou sept, peut-être attendent-elles le bus, ou un mari qui les ramènera chez elles sans fatigue. Il n'y a pas que des veuves, même si beaucoup sont seules, le soir, devant leur assiette et l'écran de la télévision. On annonce de la pluie, une tempête, mais je me sens à l'abri dans l'habitacle de ma voiture, profitant de ces quelques minutes d'avance à mon rendez-vous pour ne rien faire. Elles ont participé à un loto, une après-midi récréative, à la visite  guidée d'un musée local, arts et traditions populaires. Je les connais, je travaille pour elles. Elles ont parlé de leur santé, des douleurs, d'une absente, avec un soupir qui en dit long. Ce qui touche l'une d'entre elles peut aussi les atteindre. Elles ont parlé du passé ou des petits-enfants, d'argent et d'impôts, d'avant. Ah oui avant, c'était autre chose. Avant c'était tellement mieux, c'était dur, oui, mais les gens étaient meilleurs, travailleurs, honnêtes, respectueux. Avant...  elles en ont les larmes aux yeux, un trémolo dans la voix, un sourire nostalgique aux lèvres.
Je n'ai pas encore leur âge, je n'en suis plus si loin pourtant,  mais cet "avant" me révulse. Je retire la clef du contact, me retourne pour attraper mon sac à main et je sors de la voiture. Les vieilles femmes ont disparu.
 


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posté le 22-10-2013 à 20:41:35

Je l'aperçois.

Je l'aperçois, elle se tient entre deux voitures en stationnement.  Elle est petite. Un bas de chemise de nuit blanc dépasse de sa robe de chambre bleue qui lui tombe à mi-mollet. Je me souviens soudain que je l'ai rencontrée plusieurs fois ici. Elle traverse, sans regarder autour d'elle, dès qu'elle m'aperçoit. Je lui dis:

- Il faut faire attention, ne restez pas sur la route.

Elle ne m'écoute pas.

- On est bien mardi? 

- Oui.

- On est le combien? Le 22?

- Euh... J'hésite.

- Oui, le 22 octobre, reprend-elle. Mardi 22 octobre.

J'observe son visage creusé, pâle, ses cheveux gris qui tombent de chaque côté de son visage. Tout près de moi, elle me paraît encore plus petite. Elle a de la moustache, du poil au menton. Elle me fait un peu peur. Et pourtant, pauvre vieille, elle demande à chaque fois la même chose:

- Quel jour est-on?

Déjà elle m'a oubliée, elle est montée sur le trottoir et je m'éloigne. Je passe devant la porte de sa maison qu'elle a laissé ouverte. Qui s'occupe d'elle? On doit la connaître dans le quartier, me dis-je, vaguement coupable de la laisser là.

Je repasse quelques instants plus tard. Elle est devant chez elle, une jeune femme en scooter s'est arrêtée. J'entends qu'elle lui demande:

- On est mardi 22?

 La conductrice qui a gardé son casque sur la tête (je me demande même à cet instant ce qu'elle peut entendre) sort son portable pour vérifier.

- On est mardi 22 octobre, j'ai un calendrier, reprend la vieille femme.

Nous échangeons un sourire, la jeune femme  et moi, et je passe mon chemin.

Je pense curieusement à elle dans la journée, et même la nuit, à sa robe de chambre bleu ciel si incongrue dans cette rue. Les vieilles femmes me font peur.

 

 


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