Carnets

Tout est fiction ici.

posté le 17-11-2013 à 21:35:21

Je souris

Je lui souris. Elle est très à l'aise. Pour sa génération, elle devait être plutôt grande. Elle assume son âge, les cheveux blanchis uniformément, le maquillage: il faut se donner bonne mine. Elle a un avis sur tout: l'itinéraire, par où il faut passer, même si elle ignore la destination, le temps de la visite, même si elle ne connaît pas les habitudes du groupe. Elle vient nous aider bénévolement. Il faut être sympa, accueillante, aimable.

Et moi, pauvre idiote, je m'excuse chaque fois que ma main heurte son genou lorsque je change de vitesse, tout cela parce qu'elle est assise de biais, pour écouter les papotages de deux copine sur le siège arrière. Moi pauvre idiote, transformée en chauffeur, et contente de l'être. Pourquoi n'ai-je pas dit:

- Peux-tu t'asseoir autrement?

Trop polie, trop serviable.. C'était dans mes références: employée serviable...

 - Serviable, disait ma mère.

Je n'y ai pas échappé.

Et puis je déteste ces grandes femmes qui ont dû être blondes et sûres d'elles.

 


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posté le 16-11-2013 à 11:56:15

Toujours

- Toi je t'oublie toujours.

Nous étions rassemblés dans le hangar qui nous servait alors de garage. C'était l'heure inondée de soleil, l'heure des aurevoir, chacun souhaitant à l'autre une bonne route, une bonne continuation,  deux ou trois, quatre bises, c'est selon la région... Je me souviens quelle douleur fulgurante comme à chaque fois, à chaque fois, que j'avais droit à cette tardive reconnaissance. Et puis le doute. 

- Aubain, excuse-moi, je te téléphone cet après-midi, mais c'est si difficle. Non de d'y penser parce que j'ai cent fois passé dans ma mémoire ces moments. Mais de l'écrire, me résoudre à nommer...

Et ce jour-là, dans ce hangar baigné de soleil, alors que j'avais atteint largement l'âge d'être adulte, je m'étais dit:

- Et si ce n'était de sa part qu'un calcul, qu'une méchanceté? si c'était volontaire?

Je songeais avec tristesse que je parlais de ma mère.

Il vint à ma rescousse:

- Il n'est jamais trop tard, me dit-il. 

J'en étais intiment persuadée, sinon comment aurais-je survécu? Comment aujourd'hui continuerai-je à traiter la maladie avec dédain, à en parler comme d'une banalité? A rire. Mais c'était important de l'entendre dire. Les paroles d'Aubain et son immense confiance me réconfortaient.

C'était à ce moment-là, alors que je n'avait pas encore reposé le téléphone sur son support qu'elle entra dans mon bureau. Je ne l'avais pas entendu frapper.

 - On peut renaître à tout âge et se sentir plus jeune qu'on n'a jamais été,  me dit-elle.

Je rendis compte à ce moment là que le soleil entrait dans la pièce encombrée de dossiers,  et je souris.

 


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1. Tipoussin  le 16-11-2013 à 12:25:26  (site)

Magnifiques textes. Bon samedi.

2. colea  le 18-11-2013 à 14:48:55  (site)

Rebonjour, ça m'a fait très plaisir que vous ayez repris mon commentaire. Je continue à lire vos carnets avec beaucoup d'intérêt,
Bonne écriture!
Léa

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posté le 15-11-2013 à 21:12:13

C'était volontaire (bis)

C'était volontaire, lorsque j'y repense.  Nous avions traversé la voie rapide en pleine révolte. marre des exigences, des travaux d'aiguille à finir, des doigts humides tant la minutie du travail requérait de tension et d'attention, des reproches, du silence dans les dortoirs. Tant j'étais maladroite finalement et si peu faite pour ces tâches. Marre de ce milieu exclusivement féminin quand nous crevions d'envie de devenir des femmes, de vivre, vivre enfin, de nous nourrir du désir des hommes.

Oui, nous avions traversé la voie rapide avec la même inconscience que ces jeunes gens qui fonçaient sans éclairage dans notre direction. Nous étions les victimes mais nous ne valions pas mieux. Ou pas moins. A l'heure entre chiens et loups, sur la voie rapide baignée d'une brume grisâtre, nous ne nous distinguions pas. Agathe avait disparu ce soir-là, et Huguette. Agathe toujours à l'aise, dont les parents étaient plus fortunés et plus ouverts que les nôtres, Agathe qui avait voyagé, qui ne croyait pas en l'avenir et profitait du présent avec insolence. Et Huguette, un peu lourde -ajourd'hui on dirait enrobée -, habillée plus pauvrement, qui parlait de ses frères et soeurs, une famille nombreuse et il y avait toujours quelque chose de réprobateur dans la bouche de nos parents, même s'ils n'avaient pas évité la dernière. Ludivine, elle, avait été le dernier garçon espéré... Agathe, Huguette, projetées à plusieurs mètres, disloquées, pour toujours.

 


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posté le 14-11-2013 à 15:20:50

C'était volontaire

C'était volontaire et je le savais. Je le savais sans jamais me l'avouer. Sans jamais m'avouer non plus que je vivais avec des principes  bien éloignés de réalité. sans jamais  m'avouer non plus que Ludivine me faisait de l'ombre, que Lucienne ne me plaisait que parce que je me sentais  au moins à égalité si ce n'est supérieure, que la dernière,  Lucile, je ne la connaissais pas. Lorsque ma mère fut opérée,  bien sûr on ne parlait ni des causes ni des effets, chez nous,  mon père dit en souriant:

- Au moins comme ça, on n'aura plus de problème.

Quand je rapportai naïvement  les propos à la clinique, j'eus droit à un silence réprobateur et même haineux quand j'y songe à présent .

Je n'ai aimé vraiment personne, serai-je tentée de dire,  parce que j'ai tant recherché l'amour. J'aurais tant voulu être aimée pour moi-même.

Je passe une journée, des journées à ne rien faire tandis que l'on me suppose de multiples activités. Je bois, je joue au solitaire, je donne le change. Sauf à mon corps qui se révolte. Qui me bouffe. Est-ce que je vais mourir avant de me connaître?

 


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1. colea  le 14-11-2013 à 16:45:55  (site)

Au "je" du récit j'ai envie de dire qu'on peut renaître à tout âge et se sentir plus jeune qu'on n'a jamais été. Et la grisaille se change un jour en arc-en-ciel...
J'attends la suite de ces carnets!

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posté le 09-11-2013 à 21:14:44

Transparente

Transparente. Il faut croire que je l'étais et que je le suis encore.

J'ai rencontré aujourd'hui des personnes avec qui j'avais fait une visite, plutôt sympathique, dans un groupe d'une vingtaine de personnes, il y a huit jours. Je ne suis pas du tout physionomiste mais quelque chose m'alerte à la vue de l'une d'elle. Et lorsqu'elle parle, mais oui, mon oreille est plus sûre que ma vue bien que...  bien sûr... nous avions passé une journée ensemble , une journée très agréable. 

- Ah bon, non je ne me souviens plus.

La plus jeune affirme:

- Oui, oui. Je crois  me souvenir.

Et là je convoque Aubain  et son aide bienveillante.

- Aubain tu sais, c'est comme elle me disait toujours.

- Toi je t'oublie toujours.

La première transparence, c'est celle d'une vitre: je suis enfant assise assez haut pour regarder par la  fenêtre de notre 4ème étage. La fenêtre est fermée. En face une petite fille sans doute de mon âge, 2 ou 3 ans, agite une poupée. Nous ne pouvons pas nous entendre, nous ne pouvons pas nous parler. J'ai cette image en noir et blanc, elle me poursuit. L'ai-je inventée? L'ai-je vue quelque part et a-t-elle alors incarné un sentiment d'isolement si fort que je l'ai faite mienne?

- Toi je t'oublie toujours.

Parce qu'il faut bien en finir, finir par parler de celle.

- Tu as raison Aubain, 

de celle que je n'appelle pas maman (malgré les reproches de l'institutrice, ma mère ce n'est pas beau, il faut dire maman). De celle que je répugne même aujourd'hui à appeler ma mère. Je me réfugie derrière le silence, au pire ta grand-mère.

Celle qui une nouvelle fois, une fois de trop m'avait dit

- Toi je t'oublie toujours.

Je me souviens, je me souviens. C'était dans le hangar qui nous servait alors de garage. C'était le moment inondé de soleil, les  aurevoir, chacun souhaitant à l'autre une bonne route, une bonne continuation,  deux ou trois bises, c'est selon la région... Je me souviens quelle douleur fulgurante comme à chaque fois, à chaque fois, que j'avais droit à cette tardive reconnaissance. Et puis le doute. 

- Aubain, excuse-moi, je te téléphone ce soir, mais c'est si difficle. Non de de me le dire parce que j'ai cent fois passé dans ma mémoire ces moments. Mais de l'écrire, me résoudre à nommer...

Et ce jour-là, dans ce hangar baigné de soleil, alors que j'avais atteint largement l'âge d'être adulte, je m'étais dit:

- Et si ce n'était de sa part qu'un calcul, qu'une méchanceté? si c'était volontaire?

 


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