- D’accord. Ferme bien la porte.
Elle a parlé suffisamment fort pour qu’il entende. La maison est tout en longueur et la bibliothèque se trouve dans l’aile gauche. Elle l’imagine. Il a attendu ses dernières paroles pour remettre son casque, se laisser glisser dans le fauteuil, incliner un peu le dossier, surélever ses jambes, sans dépasser l’horizontale, il n’aime pas ; il a déjà les yeux mi-clos, il va faire la sieste, certain de ne pas être surpris ou dérangé, tandis que l’image défile en silence sur l’écran. Elle vérifie son sac, sa carte d’identité, sa carte bancaire, le portable. Ils sont là, dans un fouillis de papiers, vieux tickets de caisse, agenda qui perd ses pages, kleenex échappé de la pochette. Elle choisit le manteau en drap de laine dont elle aime la douceur. Elle choisit une longue écharpe pour faire deux fois le tour de son cou. Elle prend les clefs, elle jette un regard sur l’entrée baignée de soleil où les plantes vertes s’épanouissent. Elle les a arrosées la veille, tout est en ordre. Elle n’oublie rien. Elle ouvre la porte, elle tire fermement sur la poignée tandis qu’elle referme la porte et tourne la clef. La porte a toujours été un peu dure à fermer.
Elle s éloigne à pied par l’allée gravillonnée, prend ensuite l’avenue qui conduit à la voie de chemin de fer, il faut passer par un souterrain qui sent l’urine. Ce n’est pas agréable mais c’est le chemin le plus court. La voici dans une rue parallèle à la sienne. Son arrêt de bus est à cinq minutes sur l’autre trottoir. Elle traverse, elle traverse toujours de toutes façons, qu’elle prenne ou non le bus, pour apercevoir les trains, ceux qui arrivent lentement parce que la gare est proche et qu’ils doivent commencer à ralentir bien avant, ou les trains de marchandises qui ébranlent avec fracas les murs des appartements voisins, les trains colorés ou les trains tagués, d’un gris verdâtre, qui semblent venir d’un autre siècle. Chaque fois qu’elle part travailler, elle aime regarder les trains qu’elle ne prend pas, qu’elle pourrait prendre. Elle dit :
- Un jour, je pourrai. Un jour…
Vous brûlez d’envie de tout changer à la fois parce que vous vous sentez étouffer ? Au fond de vous-même, vous savez pertinemment que le moment ne s’y prête pas… Sortez de vos placards le rêve d’enfant que vous chérissez et efforcez-vous de le réaliser…
Elle n’en retint que quelques lignes.
Elle serait…, même… si le moment ne s’y prête pas. Elle cesserait de jalouser ceux qu’elle accusait de la copier, de prendre sa place. Elle mettrait à distance les personnalités qui l’étouffaient, qui ne lui apportaient pas la satisfaction qu’elle attendait d’une relation. Elle refuserait les tâches qui ne lui apportaient plus de satisfaction, elle cesserait de jouer à la femme indispensable. Tout ça pour avoir du temps à soi, pour réaliser un rêve d’enfant.
Ce n’était pas si évident.
- Dis-moi ? Comment fait-on pour… ?
- Attends, je vais chercher…
Il lui revint en mémoire, sans qu’elle comprît pourquoi, une expression un peu vexante, un peu désuète : une bonne fille ? Une bonne fille, une fille sans volonté, qui cédait, qui se laissait convaincre, qui n’avait pas de certitudes.
1. colea le 07-01-2014 à 13:25:59 (site)
Bonjour, de nouveau un très beau texte, qui m'a amené à me dire que chacun devrait se poser la question: "quel est mon rêve?" ou même : "ai-je un rêve?"
merci!
Léa
1. la piote en eek end le 28-12-2013 à 21:04:58 (site)
continu cela fait du bien d écrire on s en fou des ratures ou d oublis de lettre c pas nous !!! c est souvent le clavier enfin pour moi ki suit pas on jlui dicte mrd bisouxxx
2. colea le 30-12-2013 à 14:10:30 (site)
Bonjour Leone, moi aussi je vous souhaite un bon passage vers l'an nouveau, avec inspiration et beaux textes. L'important c'est continuer à écrire!
Léa
Elle essayait régulièrement de lutter. Mais si rien ne changeait dans sa vie, comment aurait-elle pu changer de comportement? Ni son mari, ni ses enfants, ni son entourage ne comprenaient sa détresse. Et n'avaient vu venir le drame. Les séquelles, la maladie, la douleur, surtout la douleur.
Mais elle, au plus profond de soi, savait qu'elle était en train de se saborder. Elle aimait ce mot qui donnait un certain panache à ce qui s'apparentait à un suicide, lent mais sûr. Elle avait tenté de maîtriser sa consommation, du vin, seulement du vin. Un verre le midi, quoique, et deux à trois le soir. A ce prix là seulement elle se sentait apaisée. Mais évidemment, à quel prix? C'était cela ou accepter de mettre en cause son couple qui tenait grâce à beaucoup de malentendus, mettre en cause son image de mère, l'image qu'elle entretenait d'elle dans le cercle bien restreint de ses relations, revenir sur son passé et ses erreurs.
Se saborder? Oui, se détruire, de façon sournoise car les effets n'étaient pas visibles immédiatement. Elle donna pendant quelques années le change, mais au final, c'est un poison insidieux qu'elle avalait lorsque le soir, réfugiée dans son bureau tandis que lui parvenaient la rumeur de la télévision et les éclats de rire de son mari, affalé dans son fauteuil devant l'écran, elle laissait glisser dans sa gorge la dernière goutte de vin au fond verre.
1. Tipoussin le 23-12-2013 à 10:16:49 (site)
Bonjour leone, un petit verre, puis un autre descente lente vers l'enfer pour oublier, pour changer son monde.
Gros bisous.
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