Transparente. Il faut croire que je l'étais et que je le suis encore.
J'ai rencontré aujourd'hui des personnes avec qui j'avais fait une visite, plutôt sympathique, dans un groupe d'une vingtaine de personnes, il y a huit jours. Je ne suis pas du tout physionomiste mais quelque chose m'alerte à la vue de l'une d'elle. Et lorsqu'elle parle, mais oui, mon oreille est plus sûre que ma vue bien que... bien sûr... nous avions passé une journée ensemble , une journée très agréable.
- Ah bon, non je ne me souviens plus.
La plus jeune affirme:
- Oui, oui. Je crois me souvenir.
Et là je convoque Aubain et son aide bienveillante.
- Aubain tu sais, c'est comme elle me disait toujours.
- Toi je t'oublie toujours.
La première transparence, c'est celle d'une vitre: je suis enfant assise assez haut pour regarder par la fenêtre de notre 4ème étage. La fenêtre est fermée. En face une petite fille sans doute de mon âge, 2 ou 3 ans, agite une poupée. Nous ne pouvons pas nous entendre, nous ne pouvons pas nous parler. J'ai cette image en noir et blanc, elle me poursuit. L'ai-je inventée? L'ai-je vue quelque part et a-t-elle alors incarné un sentiment d'isolement si fort que je l'ai faite mienne?
- Toi je t'oublie toujours.
Parce qu'il faut bien en finir, finir par parler de celle.
- Tu as raison Aubain,
de celle que je n'appelle pas maman (malgré les reproches de l'institutrice, ma mère ce n'est pas beau, il faut dire maman). De celle que je répugne même aujourd'hui à appeler ma mère. Je me réfugie derrière le silence, au pire ta grand-mère.
Celle qui une nouvelle fois, une fois de trop m'avait dit
- Toi je t'oublie toujours.
Je me souviens, je me souviens. C'était dans le hangar qui nous servait alors de garage. C'était le moment inondé de soleil, les aurevoir, chacun souhaitant à l'autre une bonne route, une bonne continuation, deux ou trois bises, c'est selon la région... Je me souviens quelle douleur fulgurante comme à chaque fois, à chaque fois, que j'avais droit à cette tardive reconnaissance. Et puis le doute.
- Aubain, excuse-moi, je te téléphone ce soir, mais c'est si difficle. Non de de me le dire parce que j'ai cent fois passé dans ma mémoire ces moments. Mais de l'écrire, me résoudre à nommer...
Et ce jour-là, dans ce hangar baigné de soleil, alors que j'avais atteint largement l'âge d'être adulte, je m'étais dit:
- Et si ce n'était de sa part qu'un calcul, qu'une méchanceté? si c'était volontaire?