Je l'aperçois, elle se tient entre deux voitures en stationnement. Elle est petite. Un bas de chemise de nuit blanc dépasse de sa robe de chambre bleue qui lui tombe à mi-mollet. Je me souviens soudain que je l'ai rencontrée plusieurs fois ici. Elle traverse, sans regarder autour d'elle, dès qu'elle m'aperçoit. Je lui dis:
- Il faut faire attention, ne restez pas sur la route.
Elle ne m'écoute pas.
- On est bien mardi?
- Oui.
- On est le combien? Le 22?
- Euh... J'hésite.
- Oui, le 22 octobre, reprend-elle. Mardi 22 octobre.
J'observe son visage creusé, pâle, ses cheveux gris qui tombent de chaque côté de son visage. Tout près de moi, elle me paraît encore plus petite. Elle a de la moustache, du poil au menton. Elle me fait un peu peur. Et pourtant, pauvre vieille, elle demande à chaque fois la même chose:
- Quel jour est-on?
Déjà elle m'a oubliée, elle est montée sur le trottoir et je m'éloigne. Je passe devant la porte de sa maison qu'elle a laissé ouverte. Qui s'occupe d'elle? On doit la connaître dans le quartier, me dis-je, vaguement coupable de la laisser là.
Je repasse quelques instants plus tard. Elle est devant chez elle, une jeune femme en scooter s'est arrêtée. J'entends qu'elle lui demande:
- On est mardi 22?
La conductrice qui a gardé son casque sur la tête (je me demande même à cet instant ce qu'elle peut entendre) sort son portable pour vérifier.
- On est mardi 22 octobre, j'ai un calendrier, reprend la vieille femme.
Nous échangeons un sourire, la jeune femme et moi, et je passe mon chemin.
Je pense curieusement à elle dans la journée, et même la nuit, à sa robe de chambre bleu ciel si incongrue dans cette rue. Les vieilles femmes me font peur.