Les promesses que je m'étais faites, il y en avait beaucoup, presque autant que les trahisons que je m'étaient infligées, les abandons, les fuites.
Aubain insiste avec délicatesse, c'est là une de ses grandes qualités, au cours de nos conversations au café ou au téléphone:
- Ça va toi?... alors tu avances?
Il ne dit jamais:
- Tu écris?
sachant quels blocages une telle question peut générer.
Je réponds par la négative, mais l'idée fait son chemin et je me demande comment le satisfaire. Me revient en mémoire, alors qu'éveillée de bonne heure j'attends que le jour se lève, une de ces vieilles femmes de mon existence. Oh, je sais que ce n'est pas la plus importante, j'aurais tendance à dire que c'est la plus anecdotique; je sens que je prends des chemins de traverse, que j'évite d'aller au but. Pourquoi ce souvenir? pourquoi cette personne? Et d'ailleurs était-elle vieille?
C'était un professeur de musique, une vieille fille quand j'y pense puisqu'on l'appelait mademoiselle... j'ai oublié son nom. Pourtant je suis sûre qu'il niche là , quelque part dans ma mémoire, pas loin. Elle avait eu un malaise et était restée absente quelques jours. Comment se fit-il que je lui aie rendu visite? Je dirais même par quel miracle? Avais-je pris l'initiative? Ce n'était pas dans les habitudes de la famille...
Pour un peu je reverrais l'entrée de la maison, une villa, avec un morceau de jardin devant, dans une rue de banlieue résidentielle. J'ai même l'impression que c'était l'automne imaginant les arbres qui bordaient le trottoir. Elle m'avait fait entrer chez elle, sans doute touchée par ma visite. Je me souviens d'un intérieur sombre, avec de beaux meubles - mais qu'est-ce que je savais des meubles, beaux ou non? je devais avoir l'âge du collège. Sans doute les meubles étaient-ils différents de chez nous où le skai (on dit maintenant du simili cuir ai-je constaté sur le moteur de recherche en vérifiant l'orthographe de ce mot, c'est plus chic), le formica, les couleurs vives, représentaient l'idéal d'un intérieur petit-bourgeois. Il y avait un piano noir. Cette demoiselle paraissait plus gaie, plus jeune que d'ordinaire. Je me souviens trè bien de ce détail, comme si je voyais le tableau et que tendant la main j'allais traverser le voile du temps. Elle sortit d'une boite en fer des gâteaux maison, à l'écorce de citron confit, qui me parurent excellents. Je rêvais peut-être à ce moment là de revenir, d'apprendre la musique, le piano ou le chant, j'avais, disait-on une jolie voix.
Que se passa-t-il ensuite?Je n'en n'ai plus de souvenir mais je peux très bien imaginer l'accueil, j'arrivais en retard, et que l'on m'a interdit toute nouvelle visite: il n'aurait plus manqué que... Aujourd'hui je ne sais pas dire quoi on aurait manqué. J'allais écrire: il n'aurait plus que moi je respire un autre air, me sentant brusquement émue et même oppressée devant ces images .
Je n'ai jamais appris la musique, j'avais une jolie voix, mais ajoutait-on aussitôt, aucun sens de la mesure.