Carnets

Tout est fiction ici.

posté le 29-01-2014 à 21:08:29

Un jour (suite 3))

Elle s’éloigne de la gare. Prend l’avenue qui est en face, repère au passage qu’il y a deux ou trois hôtels. Elle passera une nuit ici. Il lui faut s’organiser. Elle trouve non loin, à un grand carrefour, un Monoprix. Elle y achète quelques vêtements de rechange (connaît par cœur sa taille, en général il n’y a pas de surprise), des affaires de toilette. Aucun sac ne mérite le nom de voyage. Elle pense qu’il faut qu’elle ait l’air crédible lorsqu’elle se présentera à la réception de l’hôtel. Elle demande à la caissière où trouver une bagagerie. Ce n’est pas loin. Des sacs à 10€ sont en devanture ; et en effet elle trouve un sac en toile enduite bordeaux qui fera l’affaire. Elle n’a pas besoin de l’emballage.

- Je vais y mettre mes achats, dit-elle. C’est parfait

- Vous êtes prête à partir ! souligne le vendeur en souriant.

Il ne croit pas si bien dire…

Elle se rend ensuite à l’office du tourisme. Discute un moment avec l’employée. Cette dernière ne veut pas lui conseiller un hôtel :

-      Nous avons une liste, répète-t-elle.

Mais peu à peu la confiance s’instaure. Elle prend l’adresse d’un petit hôtel pas trop cher, quelques chambres, décorées à la main par la propriétaire. Les horaires du bus le lendemain pour V. et même, par chance il n’y a pas d’autres clients, le nom d’une personne,

-      - Mais c’est entre nous n’est-ce pas ?

qui loue des studios à la semaine à V.

-      Vous comprenez, ce n’est pas déclaré…

Elle se rend à l’hôtel indiqué, quelques chambres, à la campagne on parlerait de chambres d’hôtes. La salle de bain est commune et surtout occupée par une baignoire monumentale. Une charmante frise de glycines en fleur parcourt les murs de la chambre. La rue est calme.

Elle sort, elle se sent fatiguée, elle s’arrête. Il est vrai qu’elle n’a rien mangé depuis le matin et qu’elle n’est pas du genre à prendre un petit-déjeuner ; un thé, un yaourt... De toute façon le petit creux arrive d’ordinaire systématiquement dans la matinée, quelle que soit la teneur du petit-déjeuner. Elle a tendance à oublier de manger. Elle s’arrête dans une librairie, achète un peu au hasard un roman danois épais. Dans une brasserie, malgré l’heure qui se prêterait plus au goûter, elle commande un croque-monsieur avec salade, sans regarder la carte. Une envie, comme ça. Assise près de l’entrée, profitant de la lumière du jour, elle respire enfin et s’attarde tandis que les clients se succèdent et s’interpellent, ou au contraire s’enfoncent dans un des recoins obscurs de l’établissement.

 


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posté le 26-01-2014 à 20:55:42

Un jour (suite 2))

Mais elle réfléchit que s’il est retrouvé on va imaginer le pire, un vol, une agression, on va alors la rechercher. Sur le quai, elle s’assied dans un courant d’air. Elle évite de regarder autour d’elle. Et tandis que les annonces se succèdent, les arrivées, les départs, les retards ou les changements de voie, elle efface de la mémoire de son téléphone toutes les adresses du répertoire, tous les messages reçus ou envoyés, l’historique : il est vide et se retrouve au fond du sac, avec les clés de la maison et celles de son bureau. Désormais elle est sûre de ne pas pouvoir s’en servir autrement que pour appeler chez elle. Elle n’a jamais retenu un numéro depuis que l’appareil le fait pour elle et ne prend un carnet d’adresses que lorsqu’elle est en voyage et sacrifie à la tradition des cartes postales. Elle surveille du coin de l’œil le panneau d’affichage : encore cinq minutes. Elle aperçoit sur le quai en face une femme qu’elle croit connaître. Brune, les cheveux frisés, un grain de beauté épais sur la lèvre supérieure. L’air sévère. Elle est sûre de l’avoir croisée, d’avoir échangé. En même temps un certain malaise, un mauvais souvenir ? Elle fait celle qui ne la voit pas, ne lui sourit pas, la rend transparente. Elle se dit qu’elle n’a pas envie de la rencontrer, surtout pas ce jour-là.

-      Qui cela peut-il bien être ?

Elle n’aura pas la réponse. Elle se dirige vers le repère U qui correspond au wagon où se trouve sa place, côté fenêtre. Le train entre en gare, elle attend l’ouverture et lorsque  sept ou huit voyageurs sont descendus (heureusement elle n’en connaît aucun, il n’aurait plus manqué qu’elle croise un collègue !) elle monte, se dirige vers sa place.

Pendant le trajet, elle regarde par la vitre les paysages qui défilent, d’abord la banlieue, les zones urbanisées, les zones industrialisées, puis la campagne, des forêts, des champs noyés par la pluie des derniers jours, des villages dont elle ne connaîtra jamais le nom. Peu à peu le paysage devient différent de ce qu’elle connaît et elle se laisse absorber par la contemplation, elle suit du regard les routes qui longent la voie ferrée et sur lesquelles filent des automobiles, plus rapides que le train ; ou des chemins qui s’enfoncent dans un bois sur lesquels elle aurait pu se trouver, marcher, pour aller on ne sait où. Elle somnole ; le contrôleur passe, des voyageurs montent, d’autres descendent. Elle ne retient aucun visage, elle est comme absente. Tout juste remarque-t-elle son voisin qui s’excuse en étalant les pans de son pardessus et qui déplie avec difficulté un quotidien. Le train arrive enfin en gare de L. Ce n’est pas encore la mer. De là elle prendra un bus. Elle descend, hésite sur le sens à suivre pour sortir ; la gare est petite, elle se retrouve rapidement dehors. Un doux soleil d’hiver l’accueille. Elle reste un moment figée devant l’entrée, comme si elle cherchait quelqu’un, comme si quelqu’un devait venir à sa rencontre.

         - Tu es seule, murmure-t-elle pour elle-même.

 


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