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Titre du blog : Carnets
Auteur : Leone
Date de création : 22-10-2013
 
posté le 26-01-2014 à 20:55:42

Un jour (suite 2))

Mais elle réfléchit que s’il est retrouvé on va imaginer le pire, un vol, une agression, on va alors la rechercher. Sur le quai, elle s’assied dans un courant d’air. Elle évite de regarder autour d’elle. Et tandis que les annonces se succèdent, les arrivées, les départs, les retards ou les changements de voie, elle efface de la mémoire de son téléphone toutes les adresses du répertoire, tous les messages reçus ou envoyés, l’historique : il est vide et se retrouve au fond du sac, avec les clés de la maison et celles de son bureau. Désormais elle est sûre de ne pas pouvoir s’en servir autrement que pour appeler chez elle. Elle n’a jamais retenu un numéro depuis que l’appareil le fait pour elle et ne prend un carnet d’adresses que lorsqu’elle est en voyage et sacrifie à la tradition des cartes postales. Elle surveille du coin de l’œil le panneau d’affichage : encore cinq minutes. Elle aperçoit sur le quai en face une femme qu’elle croit connaître. Brune, les cheveux frisés, un grain de beauté épais sur la lèvre supérieure. L’air sévère. Elle est sûre de l’avoir croisée, d’avoir échangé. En même temps un certain malaise, un mauvais souvenir ? Elle fait celle qui ne la voit pas, ne lui sourit pas, la rend transparente. Elle se dit qu’elle n’a pas envie de la rencontrer, surtout pas ce jour-là.

-      Qui cela peut-il bien être ?

Elle n’aura pas la réponse. Elle se dirige vers le repère U qui correspond au wagon où se trouve sa place, côté fenêtre. Le train entre en gare, elle attend l’ouverture et lorsque  sept ou huit voyageurs sont descendus (heureusement elle n’en connaît aucun, il n’aurait plus manqué qu’elle croise un collègue !) elle monte, se dirige vers sa place.

Pendant le trajet, elle regarde par la vitre les paysages qui défilent, d’abord la banlieue, les zones urbanisées, les zones industrialisées, puis la campagne, des forêts, des champs noyés par la pluie des derniers jours, des villages dont elle ne connaîtra jamais le nom. Peu à peu le paysage devient différent de ce qu’elle connaît et elle se laisse absorber par la contemplation, elle suit du regard les routes qui longent la voie ferrée et sur lesquelles filent des automobiles, plus rapides que le train ; ou des chemins qui s’enfoncent dans un bois sur lesquels elle aurait pu se trouver, marcher, pour aller on ne sait où. Elle somnole ; le contrôleur passe, des voyageurs montent, d’autres descendent. Elle ne retient aucun visage, elle est comme absente. Tout juste remarque-t-elle son voisin qui s’excuse en étalant les pans de son pardessus et qui déplie avec difficulté un quotidien. Le train arrive enfin en gare de L. Ce n’est pas encore la mer. De là elle prendra un bus. Elle descend, hésite sur le sens à suivre pour sortir ; la gare est petite, elle se retrouve rapidement dehors. Un doux soleil d’hiver l’accueille. Elle reste un moment figée devant l’entrée, comme si elle cherchait quelqu’un, comme si quelqu’un devait venir à sa rencontre.

         - Tu es seule, murmure-t-elle pour elle-même.